Tribunal de Nantes, chambre des comparutions immédiates, 4 mars 2025 – Dans le box des prévenus, Antoine (1) vient d’enchaîner deux jours de garde à vue. On lui reproche d’avoir donné un coup de poing à un agent des transports en commun de la métropole nantaise, la TAN. Une infraction qualifiée de violence sur une personne chargée de mission de service public sans incapacité. Une affaire en apparence semblable à celles que la chambre de comparution immédiate de Nantes (44) a l’habitude de voir défiler. À une différence près : cette fois l’enquête policière et la vidéosurveillance démontent la version des agents des transports ligériens, qui continuent pourtant d’être soutenus par le parquet.
« C’est moi qui me suis fait agresser ! »
L’histoire commence un dimanche soir, début mars, aux alentours de 20 heures. Antoine est prié de sortir du tramway par les agents de la TAN, sous prétexte qu’il dérange un voyageur. L’affaire aurait pu s’arrêter là mais les agents descendent avec lui et le suivent alors qu’il rentre chez lui. Selon un des hommes de la TAN qui dépose plainte dans la nuit, Antoine l’aurait frappé sans raison lors de la sortie du tramway. Mais selon la vidéosurveillance récupérée le lendemain, les policiers constatent une réalité bien différente. Selon le procès-verbal qu’a pu consulter StreetPress, les enquêteurs confirment que « les agents de la TAN le suivent sans raison », alors qu’il quitte la station de tramway. Antoine revient vers eux et « sans raison un agent de la TAN le repousse ». Il s’ensuit une première altercation mais alors qu’il « a l’air de partir », selon le procès-verbal, un des hommes à l’uniforme sombre « le repousse violemment plusieurs fois par derrière jusqu’à un petit parking à 50 mètres de la station Pirmil », dans le quartier de Nantes-Sud. « D’un seul coup, l’agent l’attrape par le cou », note le PV. Contacté par StreetPress, Antoine raconte :
« C’est moi qui me suis fait agresser. J’ai été outragé ! Ils m’ont poussé plusieurs fois au niveau du tram. Moi j’étais compréhensif, je m’en allais. Il est venu sur moi le gars, en m’insultant ! Il m’a attrapé par derrière. »
Ce n’est qu’après cette empoignade que le quadragénaire, toujours maintenu, donne un coup de poing. Les trois agents le plaquent ensuite au sol pendant dix minutes avant l’arrivée de la police, qui le place en garde à vue, selon la vidéosurveillance. Une situation qui l’a mis en difficulté vis-à-vis de son employeur : Antoine est sorti d’une longue peine de prison il y a un an – pour violences sur personne vulnérable ayant entraîné la mort sans intention de la donner – et a signé un contrat à durée déterminée d’insertion en octobre dernier.
Le procureur, ancien gendarme, persiste
Malgré l’enquête policière et la vidéosurveillance qui vont dans son sens, le procureur Gaël Sallio, chargé du dossier, a maintenu les poursuites contre Antoine. Le magistrat lui a proposé une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Cette procédure expéditive de « plaider-coupable » permet la conclusion d’un accord sur une peine, en échange de la reconnaissance de la culpabilité dans le huis clos du bureau du procureur. La procédure lui permet de consulter l’avocate de permanence, maître Romane Clavier. Elle découvre le contenu du dossier de procédure et la vidéo qui montre que les agents ont menti, refuse la procédure de CRPC et exige l’abandon immédiat des poursuites.
« Il était hors de question d’aller au bout de cette procédure de CRPC qui implique une reconnaissance de sa culpabilité alors que c’est mon client qui est victime dans cette procédure ! », tonne-t-elle. La robe noire considère que le parquet ne devrait « même pas engager des poursuites » :
« C’est mon client qui est en état de légitime défense. Cette procédure est indécente, on n’est même pas allé interroger les autres agents témoins. »
Pourtant le parquet persiste et réoriente l’affaire en comparution immédiate. Antoine comparait l’après-midi même dans le box sécurisé aux murs rouge sang du tribunal de Nantes. L’agent de la TAN se constitue partie civile et demande la somme de 600 euros au titre de son préjudice moral et 800 pour les frais d’avocat. Gaël Sallio, ancien gendarme devenu procureur, ne prend pas la peine de se lever pour visionner la vidéo diffusée à l’audience sur l’ordinateur portable de la présidente. Malgré la preuve, il requiert dix mois d’emprisonnement ferme avec mandat de dépôt contre Antoine, dont cinq mois avec sursis probatoire. Le magistrat assume que « c’est la politique pénale du parquet » de soutenir les agents de la TAN, qui se plaignent depuis plusieurs années à Nantes de l’augmentation des violences dans les transports en commun. Quand bien même une vidéo montre que leur version est mensongère.
Une réquisition qui n’a pas été suivie par le tribunal, qui a reconnu la légitime défense d’Antoine et a prononcé sa relaxe. Ce dernier, marqué par cette procédure, réfléchit à déposer plainte pour les violences subies. Un choix lourd après un parcours de vie précédemment marqué par la prison, et qui tente malgré tout de se réinsérer.
(1) Le prénom a été modifié.
Contacté au sujet de l’affaire, le parquet de Nantes et le conseil de la partie civile n’ont pas tenu à répondre à nos sollicitations.
Illustration de Une de Ana Pich’.