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    04/03/2024

    Le 30 juin, ils devront laisser la place à des CRS

    À Champs-sur-Marne, 250 étudiants d’une résidence Crous virés pour les Jeux olympiques

    Par Lilia Aoudia , Jeanne Actu

    Honoré, Maxime et Bilal perdent leur chambre Crous en juin : réquisitionnées pour les JO, elles sont données à des CRS et des agents de sécurité. « Totalement honteux » pour ces étudiants pour la plupart « hyper précaires ».

    Champs-sur-Marne (77) – Sur les canapés du hall de la résidence du Crous, cinq étudiants débattent du slogan à inscrire sur des banderoles. « Quoi qu’il arrive, on va nous mettre à la porte, donc il faut montrer que c’est scandaleux », argumente l’un d’eux, sur un ton défaitiste. Les quelque 250 résidents du bâtiment ont officiellement été informés par mail qu’ils devront céder leurs chambres à compter du 30 juin prochain, réquisitionnées pour les Jeux olympiques. En plein examen pour certains. D’autres n’ont pas d’options de logement pour le moment. « On n’a qu’à écrire “PAS FIERS” », propose un autre. Une réponse aux déclarations de la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, qui a affirmé que les étudiants devraient être « fiers » de prêter leurs logements. À Champs-sur-Marne, – comme dans les onze autres résidences des académies de Paris, Versailles et Créteil concernées par cette réquisition – les étudiants s’organisent pour alerter le public.

    « NON À LA RÉQUISITION », tranche finalement la petite bande. La mobilisation se fait avec les moyens du bord : rouleau de tissu trouvé dans la rue, bombes de peinture récupérées à l’école d’architecture… L’action inter-résidences a été décidée sur Discord, où les étudiants organisent leurs assemblées générales. Ensemble, ils ont créé début février le collectif La Rescrous, pour demander l’annulation de la réquisition de leurs logements et dénoncer la promesse de compensation mise en place par le Crous, à savoir 100 euros et deux places pour les Jeux olympiques.

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    Honoré (à gauche) et Maxime (à droite) sont colocataires d’un même studio dans la résidence de l'école d'architecture de Champs-sur-Marne. Ils ont appris qu'ils allaient être délogés en avance pour les JO lorsqu'ils ont procédé aux demandes de renouvellement de leurs logements l’été dernier. / Crédits : Jeanne Actu

    Confus

    Honoré et Maxime sont colocataires d’un même studio dans la résidence de l’école d’architecture de Champs-sur-Marne. « Les appartements sont plutôt grands et modernes, ils datent d’il y a seulement quatre ans », expliquent-ils :

    « C’est sûrement pour ça que notre résidence a été choisie pour loger des CRS et des agents de sécurité. »

    En tout, plus de 2.000 étudiants vont être délogés en avance pour installer les forces de l’ordre et de la sécurité civile, mais aussi les pompiers ou des soignants appelés pour les Jeux. Les deux amis ont appris la nouvelle lorsqu’ils ont procédé aux demandes de renouvellement de leurs logements, l’été dernier. Au moment de signer le bail, Honoré remarque qu’il se termine en juin, soit deux mois plus tôt que d’habitude. Il appelle alors la direction du Crous qui lui répond que leurs studios seraient potentiellement réquisitionnés pour les Jeux olympiques. Puis, plus de nouvelles.

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    Pendant plusieurs mois, le Crous a entretenu un flou avec les étudiants, jusqu’en novembre, où le directeur leur dit qu'ils devaient « faire des efforts de façon collective ». Selon Honoré, « il nous a aussi fait comprendre qu’on avait déjà beaucoup de chances de bénéficier du Crous et des repas à un euro ». / Crédits : Jeanne Actu

    Pendant plusieurs mois, le Crous entretient un flou avec les étudiants, jusqu’en novembre, où le directeur se déplace en personne pour faire une réunion d’information et confirmer la réquisition. « Il nous a dit que les Jeux étaient une période faste pour la France et qu’on devait faire des efforts de façon collective », souffle Honoré :

    « Il nous a aussi fait comprendre qu’on avait déjà beaucoup de chances de bénéficier du Crous et des repas à un euro, et que par conséquent, on ne devrait absolument rien dire. »

    « Totalement honteux », s’indigne l’étudiant, qui rappelle que la plupart d’entre eux sont « hyper précaires ». Avec Maxime, cette intervention les décide à se mobiliser.

    Étudiants en deuxième année de master d’architecture, les deux colocataires doivent valider leur diplôme fin juin, date à laquelle ils devront quitter leur résidence. Maxime stresse : organiser en même temps ses révisions, un déménagement et un état des lieux lui semble mettre en péril son précieux diplôme. « On a déjà cette pression sur la réussite de nos études. Ce n’est pas la peine d’en rajouter. » La majorité des résidents est contre la réquisition, mais certains craignent des répercussions : la perte de leur bourse ou un refus de renouvellement de logement pour l’année prochaine, s’ils décident de s’opposer au Crous.

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    Contraints de s’adapter

    Quelques étudiants rejoignent tout de même le mouvement. Parmi eux, Bilal, 21 ans, venu apporter son aide pour réaliser la banderole : « Je suis énervé, dégoûté et triste de voir que l’État sacrifie des étudiants qui n’ont déjà pas la vie facile et qui, pour certains, travaillent. » Avec ses camarades, il déplace l’énorme drap dans la cour extérieure de l’immeuble, pour éviter que l’aérosol de peinture ne répande des vapeurs toxiques à l’intérieur. « Moi, je suis en alternance, donc obligé de rester à Paris cet été. » Dernièrement, les résidents ont reçu un formulaire par mail leur demandant de choisir s’ils souhaitaient être relogés pendant les vacances estivales. Une solution que Bilal a refusée, préférant rentrer chez ses parents dans les Yvelines, à deux heures de transport de son boulot. « Trop de charges administratives et de temps perdu en déménagement », tranche-t-il, découragé :

    « Je n’ai pas envie de déplacer mes affaires dans un autre Crous. Je ne sais même pas où je serais relogé. »

    Derrière lui, Pierre (1), originaire de la région dijonnaise, arrive avec une heure de retard. « On t’attendait, t’as des bonnes idées de slogans toi ! », lui dit Honoré. Avec un mètre, ils prennent les mesures de la banderole et la découpent avec des ciseaux. Comme les autres étudiants présents, Pierre, en première année de master d’architecture, n’a pas hésité à soutenir la contestation. Pour valider son année, il doit réaliser un stage de deux mois cet été. « Et je suis plus ou moins forcé de quitter Paris pour le faire vu que je n’ai pas de logement et pas de garantie à 100% d’être relogé là où je veux. » Il ajoute :

    « On est toujours dans le flou, on n’a pas de filet de sécurité, malgré les promesses du Crous, qui ne nous arrivent d’ailleurs jamais par écrit, mais toujours à oral. »

    Des compensations insuffisantes

    100 euros et deux places pour les Jeux olympiques. Voilà la promesse de dédommagement que leur a promis le Crous en échange de leurs studios. Insuffisant pour ces étudiants. D’autant plus qu’ils sont déjà affectés matériellement par la réquisition : dans quelques jours, la laverie commune va fermer pour des travaux de rénovation et restera indisponible pour une durée indéterminée. « Ça me fait très rire. Moi, je me moque un peu d’aller voir du sport », commente Bilal :

    « 100 euros avec l’inflation, c’est tellement dérisoire et irréaliste. Ce n’est même pas le prix de mon loyer, ni même celui d’un déménagement. Ils nous donnent quelques pommes, et ils pensent que ça va suffire. »

    « C’est une énorme honte », renchérit Maxime, qui accuse le Crous de stratégie politique pour rassurer l’opinion publique. « En plus, le Crous nous a clairement incités à rentrer chez nos parents plutôt qu’à demander un relogement. Il n’y aurait pas assez de places pour nous tous. »

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    Cette mobilisation, promettent les étudiants de Champs-sur-Marne, n’est que la première d’une longue série jusqu’à juin prochain. Ils espèrent, d’ici là, un rétropédalage du gouvernement. / Crédits : Jeanne Actu

    La banderole terminée, il est temps de l’accrocher. Honoré et Maxime décident de s’en charger le lendemain, quand il fait jour. À 10h du matin, ils sonnent chez les voisins du huitième étage, qui sont dans le coup : leur balcon est parfait pour déployer la banderole de tout son long. « NON À LA RÉQUISITION. » Cette mobilisation, promettent-ils, n’est que la première d’une longue série jusqu’à juin prochain. Ils espèrent, d’ici là, un rétropédalage du gouvernement.

    Contacté, le Crous de Créteil n’a, pour le moment, pas répondu à nos questions.

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    (1) Le prénom a été modifié.

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