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    23/01/2024

    Entre insultes et menaces, StreetPress n’était pas le bienvenu

    Hommage à Louis XVI « roi martyr » et manif anti-avortement, on a passé le week-end avec les réacs

    Par Daphné Deschamps , Arthur Weil-Rabaud , Pauline Gauer

    Samedi 20 janvier, les royalistes de l’Action française rendaient hommage à leur « roi martyr », Louis XVI. Le lendemain, une partie d’entre eux défilaient contre l’avortement à « la marche pour la vie ». Reportage sous pression.

    Blouson en cuir, casquette Lyle and Scott vissée sur le crâne, et brassard sécurité, Maxence, militant de l’Action française (AF), remonte d’un air nerveux le cortège. Ce samedi 20 janvier au soir, environ 200 personnes déambulent dans le VIIIème arrondissement de Paris. Comme chaque année, les monarchistes défilent aux flambeaux pour rendre hommage au « roi martyr », Louis XVI, guillotiné place de la Concorde le 21 janvier 1793. La troupe est bigarrée. On remarque quelques familles, et même des bébés dans des poussettes malgré des températures négatives, mais aussi des mines plus patibulaires, le visage partiellement masqué par des cache-cous. Ils brandissent en guise de flambeaux, des manches en bois trempés dans de la paraffine.

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    Samedi 20 janvier 2024, les royalistes de l’Action française rendaient hommage à leur « roi martyr », Louis XVI. / Crédits : Pauline Gauer

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    Comme chaque année, les monarchistes défilent aux flambeaux pour rendre hommage au « roi martyr », Louis XVI, guillotiné place de la Concorde le 21 janvier 1793. / Crédits : Pauline Gauer

    Sur le parvis de l’église Saint-Augustin, une voix crachote depuis la sono chargée dans un coffre de voiture : « Avant de partir, on va lire le testament de Louis XVI », annonce Antoine Grosjean (un pseudo), le président de la fédé Nord-Picardie de l’Action française, engoncé dans une veste de chasse. La fin du discours sonne le départ.

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    Dans la foule : quelques familles, et même des bébés dans des poussettes, mais aussi des mines plus patibulaires, le visage partiellement masqué par des cache-cous. / Crédits : Pauline Gauer

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    « Avant de partir, on va lire le testament de Louis XVI », annonce Antoine Grosjean (un pseudo), le président de la fédé Nord-Picardie de l’Action française. / Crédits : Pauline Gauer

    « France, jeunesse, royauté ! »

    Le cortège déambule autour de la gare Saint-Lazare, encadrée de quelques voitures de police. Les royalistes scandent à gorge déployée des slogans classiques, légèrement revisités. « Tout le monde déteste la police » devient « tout le monde déteste la République », quand « Anti, anti, antirépublicain » vient remplacer le célèbre « Anti, anti, anticapitaliste ». Depuis leurs fenêtres, certains habitants du quartier invectivent les manifestants. En guise de réponse, les manifestants scandent « vive le roi » avant de repartir aux cris de « aujourd’hui l’anarchie, demain la monarchie ». Tout un programme.

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    Maxence, militant de l’Action française, vêtu d'un blouson en cuir, d'une casquette Lyle and Scott et d'un brassard sécurité. / Crédits : Pauline Gauer

    Comme StreetPress le racontait dans une précédente enquête, l’Action française est le plus ancien mouvement d’extrême droite en activité. Elle s’est lancée en 1899 en plein cœur de l’affaire Dreyfus et de sa controverse antisémite. Précisément, sa ligue a été interdite par les autorités suite aux émeutes du 6 février 1934, puis le mouvement est frappé du sceau de l’infamie pour « collaboration » au sortir de la Seconde Guerre mondiale avec notamment la condamnation de Charles Maurras. Mais l’AF a bien vite repris ses activités, dès 1947, et a depuis échappé à la dissolution. Elle serait aujourd’hui forte de plus d’un millier d’encartés – elle en revendique 3.000 –, ce qui en fait le groupe à la droite du Rassemblement national (RN) le plus important numériquement. L’AF est aussi connue pour former des cadres et intellectuels réactionnaires qui encore aujourd’hui trustent les plateaux télé.

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    L'Action française compterait aujourd’hui plus d’un millier d’encartés. / Crédits : Pauline Geuer

    À LIRE AUSSI : L’Action française, école des cadres réactionnaires

    Bien qu’anti-Républicaine, l’Action Française privilégie, en théorie au moins, les stratégies d’influence au coup-de-poing. Les journalistes de StreetPress ne sont pas pour autant les bienvenus. Le service d’ordre nous a bien à l’œil : impossible de s’approcher du cœur du cortège sans être suivis de très près. Arrivés devant la gare Saint-Lazare, alors que des passants moqueurs se demandent à voix haute si « ça existe encore les royalistes ? », on prend une rue adjacente, et on dépasse le cortège, pour prendre en photo la banderole de tête. Immédiatement, six membres du service d’ordre entourent notre photographe, et examinent par-dessus son épaule les clichés qu’elle prend.

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    Le service d’ordre de l'Action française nous a bien à l'œil : impossible de s’approcher du cœur du cortège sans être suivis de très près. / Crédits : Pauline Gauer

    19h20, fin de balade. Les flambeaux s’éteignent peu à peu, et le cortège arrive devant le square Louis XVI, toujours dans le VIIIème arrondissement. Impossible de s’approcher, le service d’ordre nous surveille. Encore quelques discours, puis ordre de dispersion. Les militants de l’Action française quittent le rassemblement par petits groupes, chaque section partant de son côté, avant d’aller passer une soirée royaliste à 30 euros (minimum !) par tête sur une péniche. Soirée sponsorisée par la brasserie Airoise, fondée par un sympathisant du mouvement.

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    L’Action française est le plus ancien mouvement d’extrême droite en activité. / Crédits : Pauline Gauer

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    Les manifestants scandent « vive le roi » ou « aujourd’hui l’anarchie, demain la monarchie ». / Crédits : Pauline Gauer

    Les militants de l’AF n’étaient pas seuls à défiler. Sur le côté, un groupe se rassemble, avec deux cache-cous qui attirent l’œil. Ils sont barrés d’un drapeau basque pour l’un, et pour l’autre du logo de la Bastide Bordelaise, un groupuscule nationaliste-révolutionnaire de Bordeaux (33), proche notamment du Groupe union défense (GUD) Paris. Le petit groupe est rejoint par une autre tête connue : Félix, du syndicat étudiant d’extrême droite la Cocarde. Le militant aime les ambiances radicales puisqu’il avait déjà été aperçu en 2022 au défilé néofasciste du Comité du 9 Mai.

    Dimanche, on reprend (presque) les mêmes et on recommence

    Ce dimanche 21 janvier après-midi dans le VIème arrondissement, c’est la Marche pour la vie, le rendez-vous annuel des anti-avortements. Antoine Grosjean, le président de la fédé Nord-Picardie de l’Action française affirme qu’il s’agit de « deux événements très différents ». Pourtant une bonne partie des bénévoles affectés à la sécurité de cette édition 2024 militent à l’Action française. Pour certains, la soirée s’est finie tard, et les visages sont fatigués.

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    Ce dimanche 21 janvier 2024 après-midi dans le VIème arrondissement, c’est la Marche pour la vie, le rendez-vous annuel des anti-avortements. / Crédits : Pauline Gauer

    Là non plus StreetPress n’est pas le bienvenu. À peine arrivés aux abords du cortège, nous voilà repérés par Maxence de l’Action française – encore lui – qui sécurise l’événement à l’aide d’une oreillette et d’un talkie-walkie. La consigne est donnée à un bénévole de nous suivre. Il n’est pas le seul. Une petite bande qui rassemble des proches du GUD nous a reconnus et s’accroche à nos basques, plus ou moins à distance. Ils ne nous lâcheront pas d’une semelle.

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    Maxence de l’Action française – encore lui – sécurise l'événement à l’aide d’une oreillette et d’un talkie-walkie. / Crédits : Pauline Gauer

    Toutes les générations se sont mobilisées pour cette manifestation dominicale. Les personnes âgées, certaines avec leur canne, côtoient de jeunes adolescents qui dansent sur « Joyeux », un morceau sur la vie d’un enfant porteur de trisomie 21. Des parents ont accroché des pancartes sur leurs poussettes : « Vivre est un droit, pas un choix », ou « protéger le faible, ça c’est fort ».

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    Toutes les générations se sont mobilisées pour cette manifestation dominicale. / Crédits : Pauline Gauer

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    Les personnes âgées côtoient de jeunes adolescents qui dansent sur « Joyeux », un morceau sur la vie d’un enfant porteur de trisomie 21. / Crédits : Pauline Gauer

    Deux heures après le départ, le cortège arrive sur la place Denfert-Rochereau. Une scène a été montée pour l’occasion. Un écran géant diffuse des passages médias de politiques acquis à la cause, comme Bruno Retailleau, Marion Maréchal ou Stéphane Ravier. Un stand de « crêpes pour la vie » attend également les manifestants. Commence alors pour nous un jeu du chat et de la souris avec les radicaux, présents en nombre ce dimanche. Chaque recoin de la place a son petit groupe, qui nous fixe.

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    Un stand de « crêpes pour la vie » s'est installé. / Crédits : Pauline Gauer

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    Tabliers au slogan : « Crêpes pour la vie ». / Crédits : Pauline Gauer

    Autour de la place, le dispositif policier est très léger – une cinquantaine d’agents tout au plus –, mais les bénévoles de la sécurité quadrillent la zone, certains avec des casques de moto sur la tête. Dans leurs rangs, on trouve des membres du syndicat étudiant proche du Rassemblement national la Cocarde en gants coqués, plusieurs militants de l’Action française présents la veille ou des identitaires, venus spécialement pour l’occasion. Ainsi au coin du boulevard Raspail, un bénévole avec son coupe-vent « chef d’équipe » attire notre attention. Il s’agit de Martin, l’un des militants du groupuscule rouennais Les Normaux, nouvelle itération de Génération identitaire (GI) dans la région. À proximité, d’autres identitaires normands, aussi présents à la marche identitaire Paris Fierté la semaine dernière, complètent le dispositif.

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    Autour de la place, le dispositif policier est très léger, mais les bénévoles de la sécurité quadrillent la zone, certains avec des casques de moto sur la tête. / Crédits : Pauline Gauer

    À l’autre bout de la place, quelques associations se sont installées sous des tentes pour distribuer des tracts et récolter des fonds. On retrouve la Fondation Lejeune, qui a reçu la visite de l’éphémère ministre de la Santé Agnès Firmin-Le Bodo début janvier. Il y a aussi Alliance Vita, l’un des fers de lance du mouvement « pro-vie » en France, fondé par Christine Boutin, ou des paroissiens de l’Église Saint-Léon située dans le XVème arrondissement. L’un d’entre eux grommelle en référence aux petites grappes de radicaux éparpillées tout autour de la place :

    « Ce n’est pas très malin de passer pour un groupuscule, tous à moitié cagoulés, ça ne sert à rien. »

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    Des associations appellent même aux dons. / Crédits : Pauline Gauer

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    Des militantes de la Marche pour la Vie se promènent avec d’immenses panneaux pour faire la quête pour leur orga. Et sur l’une d’entre elles : un des derniers stickers du GUD Paris. / Crédits : Pauline Gauer

    Des militantes de la Marche pour la Vie se promènent avec d’immenses panneaux pour faire la quête pour leur orga. Carte bancaire acceptée. Et sur l’une d’entre elles, en plus des stickers anti-choix on aperçoit… un des derniers stickers du GUD Paris. Entre les enfants en short, les prêtres traditionalistes en soutane et les pères de famille style Vieille France, un groupe d’une quinzaine d’individus au look casual déambule. Les gudards sont de sortie. Casquette en tartan vissée sur la tête, Aloys Vojinovic, ex-membre groupuscule néonazi dissous des Zouaves est en grande conversation avec Paul-Alexis Husak, cadre du GUD Paris aux cheveux gominés. Cet ancien employé d’e-Politic, société de la GUD Connection anciennement chargée de la communication électorale du Rassemblement national, faisait partie de la bande poursuivie pour la tentative avortée de ratonnade lors de la demi-finale France-Maroc de la Coupe du Monde de football 2022. Certains de leurs amis remontent leurs cache-cous siglés GUD et nous pointent du doigt. Vojinovic et Husak disparaissent très rapidement dans la foule.

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    À la Marche pour la Vie, on croise Aloys Vojinovic, ex-membre groupuscule néonazi dissous des Zouaves, en grande conversation avec Paul-Alexis Husak, cadre du GUD Paris. /

    À LIRE AUSSI : Procès annulé contre les 7 militants d’extrême droite qui prévoyaient une ratonnade après le match France-Maroc

    Sur scène, les invités du jour sont acclamés comme des rockstars par un public très adolescent. Le premier à prendre le micro est un chanteur chrétien, Patrice Martineau. Une petite star dans ce monde. L’assemblée reprend en cœur ses refrains. Après la diffusion d’un clip des Survivants, asso anti-IVG fondée par Emile Duport, l’arrivée du président de la fondation Jérôme Lejeune, Jean-Marie Le Méné, réveille la foule. Plus intéressés par notre présence que parce ce qu’il se passe sur scène, plusieurs petits groupes de radicaux nous photographient et nous font signe, tantôt des doigts d’honneur, tantôt des cœurs avec leurs mains. Plus énervés, certains – dont quelques-uns déjà croisés la veille – viennent à notre rencontre pour nous mettre la pression, se masquant tant bien que mal :

    « StreetPress, bande d’enculés, continuez à chier sur la France. »

    L’un d’eux – le plus virulent – peine à garder son visage dissimulé sous son écharpe. Il nous lance un « salope » sonore avant de partir vers le métro.

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    Plus intéressés par notre présence que parce ce qu’il se passe sur scène, plusieurs petits groupes de radicaux nous photographient et nous font signe, tantôt des doigts d’honneur, tantôt des cœurs avec leurs mains. / Crédits : Pauline Gauer

    Nous repartons pour un dernier tour de la place, toujours en bonne compagnie. Trois militants proches d’Auctorum, qui nous suivent de près depuis notre arrivée, continuent à nous faire des signes et à nous filmer. La nuit commence à tomber, StreetPress quitte la manif.

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