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    26/09/2023

    StreetPress a identifié le radical dans sept agressions en cinq ans

    Eliot Bertin, le nouveau chef ultra-violent de l’extrême droite lyonnaise

    Par Arthur Weil-Rabaud

    Le leader de Lyon Populaire, coutumier des actions violentes, Eliot Bertin s’est fait une place ces dernières années dans le dense paysage de l’extrême droite lyonnaise. Il arrive à réunir néofascistes, identitaires, monarchistes et catho réac.

    Lyon (69) – Fête de la musique oblige, les rues sont bondées ce 21 juin 2023. Au milieu des badauds et des musiciens, une manifestation sauvage contre les violences policières et en soutien aux Soulèvements de la Terre déambule sur la presqu’île depuis plus d’une heure. Peu après 22 heures, le cortège atteint la place Ampère, dans le deuxième arrondissement. Soudain, une vingtaine de militants d’extrême droite, certains équipés de bâtons, chargent le cortège. Une véritable embuscade : barrières, panneaux de signalisation ou bouteilles, tout ce qui leur tombe sous la main sert alors de projectile. Après plusieurs minutes de face-à-face tendu, et alors que certains manifestants ont été tabassés au sol aux cris de « Lyon est nazie », les militants d’extrême droite, en sous-nombre, quittent les lieux sans être inquiétés.

    Au premier rang des assaillants ce soir-là, vêtu d’un polo bleu clair, de son éternel short et armé d’un bâton, on retrouve une figure de l’extrême droite radicale locale, habituée des actions violentes dans la rue : Eliot Bertin. Selon le décompte de StreetPress, il a été présent dans au moins sept agressions depuis 2018, sans qu’il n’ait aucune condamnation par la suite.

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    Eliot Bertin et son tour de cou au logo de Lyon Populaire. / Crédits : DR

    Antisémitisme et grosses bagarres

    Dès ses années lycée, passées à l’internat de l’établissement privé lyonnais Maurice La Mache, Eliot Bertin ne dissimule pas ses opinions politiques radicales et son attirance pour la violence. « Il avait tout le temps des tracts ou des stickers, certains avec des croix gammées, qu’il collait. C’étaient des tracts du Gud et il en donnait à des jeunes du lycée. Il se vantait de recruter pour le groupe », confie une ancienne élève de l’établissement. Elle détaille :

    « Il aimait la violence. Il était parfois armé, avec des couteaux. Quand je l’ai connu, il faisait beaucoup de descentes : dès qu’il avait du temps, il allait sur les quais [du Rhône ; ndlr] et il cherchait des gens pour les embrouiller. »

    Au lycée, elle subit pendant plusieurs mois un harcèlement antisémite de sa part : « Il m’a menacé plus d’une fois. J’ai reçu plusieurs tracts “Israël assassin”. Il y a eu des croix gammées sur les casiers des élèves de confession juive ». Des agissements qu’elle dénonce, avec ses parents, à la direction de l’établissement :

    « On a prévenu qu’un jour, il y aurait un mort. Dans son regard, dans sa façon d’être, il était haineux. Il aimait beaucoup la bagarre. Il était prêt à tout pour défendre ses opinions. »

    Joint par téléphone, l’établissement reconnaît qu’Eliot Bertin a tenté de faire de la politique dans l’établissement, mais affirme que ses activités sont toujours restées à l’extérieur. En revanche, silence radio sur les accusations de harcèlement.

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    Le logo de Lyon Populaire. / Crédits : DR

    « J’ai une idéologie extrémiste de droite »

    Quand il ne travaille pas – il est technicien d’usinage dans une entreprise de la région lyonnaise qui fabrique et répare des pièces mécaniques –, il multiplie les actions violentes. En avril 2018, il est interpellé à Lyon, aux côtés de sept autres membres de l’extrême droite radicale, dont l’ex-chef gudard et instigateur du Bastion Social, Steven Bissuel, et le trésorier de la section lyonnaise du mouvement, Tristan Conchon. Quelques minutes plus tôt, les fafs menaient une violente descente contre des militants antifascistes présents à un concert. S’il nie sa présence sur les lieux, les agents découvrent une paire de gants coqués et un protège-dents lorsqu’ils l’interpellent dans les environs. Placé en garde-à-vue pour « violences en réunion avec arme par destination », et interrogé sur ces objets, il ne dissimule pas son recours à la violence :

    « J’ai une idéologie extrémiste de droite et vous le savez car je suis fiché S […] j’ai toujours ces affaires sur moi pour me protéger car les antifas sont plus nombreux que nous. En cas de bagarre, je m’en sers. »

    Finalement placé sous le statut de témoin assisté, il échappe à une condamnation.

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    Eliot Bertin et son masque noir à l'insigne de la Totenkopf - la 3ème division SS. / Crédits : DR

    Dans la rue, il s’allie à d’autres radicaux lyonnais – royalistes, identitaires, néonazis… – pour faire le coup-de-poing, sous la bannière du Guignol squad. Une alliance informelle créée pour mener des actions violentes sans mettre en péril les organisations officielles de ses membres. Le groupe est impliqué dans plusieurs affaires de violences durant le mouvement des Gilets jaunes, ou récemment à Clermont-Ferrand en mars 2022, où plusieurs militants antifascistes ont été tabassés par Eliot Bertin et ses amis néonazis de Clermont Nationaliste.

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    Dans la rue, Eliot Bertin s’allie à d’autres radicaux lyonnais pour faire le coup-de-poing, sous la bannière du Guignol squad. / Crédits : DR

    Eliot Bertin n’agresse pas seulement des militants de gauche. Le 21 juin 2021, aux côtés du manieur de couteaux identitaire Adrien Lasalle, il s’en prend à des supporters rassemblés rue Mercière, en marge du match de l’Euro entre la France et la Suisse, comme le révélait Rue89 Lyon. Rebelote le 14 décembre dernier : malgré sa cagoule, des témoins le reconnaissent autour de la place Bellecour parmi les militants d’extrême droite venus agresser des supporters lors de l’après-match France-Maroc.

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    Le 14 décembre dernier, malgré sa cagoule, des témoins reconnaissent Eliot Bertin autour de la place Bellecour parmi les militants d’extrême droite venus agresser des supporters lors de l’après-match France-Maroc. / Crédits : DR

    Des violences répétées et documentées – il était une fois de plus en première ligne lors de l’attaque d’une casserolade antifasciste en avril dernier – pour lesquelles, selon nos informations, il n’a à ce jour pas été inquiété.

    Une ascension rapide

    À 25 ans, le natif de Caluire-et-Cuire, en banlieue lyonnaise, a déjà vécu chez les fafs. S’il gravite un temps autour du Parti nationaliste français de l’antisémite Yvan Benedetti, c’est du côté des nationalistes-révolutionnaires (NR) du Bastion Social qu’Eliot Bertin trouve pleinement sa place. Un mouvement national, lancé en 2017 sur les cendres du Groupe Union Défense en perte de vitesse, avec lequel Bertin milite activement, allant jusqu’à s’afficher publiquement sous ses couleurs, comme lors d’une maraude filmée par France 2 en 2018.

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    Eliot Bertin s'entraîne au tir avec une arme. / Crédits : DR

    Paradoxalement, son ascension au sein de la mouvance radicale lyonnaise coïncide avec la dissolution du Bastion Social en avril 2019. Alors que toutes les sections du mouvement néofasciste se reforment sans trop de difficultés, la situation est différente dans la capitale des Gaules. Des tensions internes, attribuées tantôt au vol de la caisse par un chef peu scrupuleux (2), tantôt à des guerres d’égos, entraînent une scission chez les NR lyonnais. L’occasion pour Eliot Bertin de prendre de l’ampleur et de changer de statut. Soutenu par l’ex-chef Steven Bissuel et ses proches, il fonde Lyon Populaire en septembre 2019, tandis que Tristan Conchon fonde de son côté Audace.

    Une situation qui n’étonne pas Gaëtan (1), militant antifasciste lyonnais qui suit l’évolution du bonhomme depuis plusieurs années :

    « Ça fait longtemps que je répète que le prochain à avoir une position importante sera Bertin, et ça n’a pas raté. »

    Quatre ans plus tard, Audace a disparu des radars, laissant le champ libre à Lyon Populaire de l’ambitieux Eliot Bertin.

    Légitimité politique

    Contrairement à un Marc de Cacqueray-Valménier, icône faf dont l’aura repose surtout sur ses aptitudes de cogneur, Eliot Bertin mise aussi beaucoup sur les idées. Sa grande réussite ? Le lancement en 2021 du « cercle de réflexion François Duprat », du nom du penseur du nationalisme-révolutionnaire mort en 1978. Une vitrine « intellectuelle » pour Lyon Populaire, avec laquelle il produit des livrets théoriques destinés aux militants. Mais aussi où il organise régulièrement des conférences, comme en ce début septembre où les Lyonnais recevaient le théoricien et idéologue néofasciste Gabriele Adinolfi.

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    Eliot Bertin et l'idéologue néofasciste Gabriele Adinolfi. / Crédits : DR

    En mars dernier, c’est à l’appel de ce cercle que Bertin et Lyon Populaire ont réussi, performance rare, à rassembler des dizaines de radicaux sur leurs terres, à l’occasion d’un « Forum de l’implantation sociale », dont des membres d’au moins six groupes nationalistes-révolutionnaires hexagonaux. Une petite sauterie où l’on pouvait croiser, pêle-mêle, les néofascistes du Gud, les catholiques traditionalistes d’Academia Christiana, les royalistes de l’association « Touche pas à ma statue », ou la conseillère régionale Reconquête Isabelle Surply. Tous sont venus échanger sur le futur du militantisme d’extrême droite.

    S’il affiche ouvertement son idéologie nationaliste-révolutionnaire, voire néonazie comme le révélait Rue89 Lyon, il n’est pas sectaire et s’adresse à toutes les familles de l’extrême droite. À Lyon, il fréquente régulièrement les identitaires. En 2020, il prend par exemple la pause pour promouvoir la salle de boxe des zids, L’Agogé. Et quand il ne s’entraîne pas à la bagarre, il enfile son inévitable paire d’Adidas Samba pour une « tournée de sécurisation des transports en commun » aux côtés de Génération Identitaire (GI). Des contacts qu’il entretient toujours aujourd’hui : selon nos informations, Eliot Bertin continue de fréquenter le bar « enraciné » La Traboule, utilisé maintenant par la resucée de la section lyonnaise de GI, les Remparts. Et c’est d’ailleurs chez les identitaires du bar Le 7.59, en périphérie de Perpignan (66), qu’il a choisi de donner, en août, une conférence sur le militantisme et « comment reprendre nos villes ». Preuve de sa prise d’importance dans le paysage radical français, c’est à visage découvert et sous son vrai nom qu’il s’est rendu chez les Perpignanais.

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    À Lyon, Eliot Bertin fréquente régulièrement les identitaires. En 2020, il prend par exemple la pause tout à gauche pour promouvoir la salle de boxe des zids : L’Agogé. / Crédits : DR

    Le militant vingtenaire est de toutes les mobilisations de l’extrême droite lyonnaise et développe ses liens avec une myriade de groupes et de collectifs. En octobre dernier, il prend la tête de la manifestation sauvage pour Lola – jeune fille assassinée quelques jours plus tôt – avec le porte-parole des Remparts, Sinisha Milinov. En 2020, il assure le service d’ordre d’une mobilisation du collectif Marchons Enfants (dont fait partie la Manif pour Tous), aux côtés d’autres militants de Lyon Populaire, de royalistes ou d’identitaires. L’occasion pour lui d’échanger avec Aliette Espieux, porte-parole de la Marche pour la Vie et colistière du Rassemblement National dans le cinquième arrondissement lyonnais aux dernières municipales, qui n’hésite pas à relayer les actions de Lyon Populaire sur ses réseaux sociaux.

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    Eliot Bertin est de toutes les mobilisations de l’extrême droite lyonnaise et développe ses liens avec une myriade de groupes et de collectifs. En octobre dernier, il prend la tête de la manifestation sauvage pour Lola. Ici au premier plan à droite. / Crédits : DR

    Eliot Bertin réussit là où beaucoup d’autres au sein de sa mouvance, toutes générations confondues, ont échoué : être légitime politiquement sans renoncer à la violence, véritable ADN de l’extrême droite radicale. Une capacité qui en fait aujourd’hui le leader naturel des néofascistes lyonnais, et l’une des figures majeures de la sphère nationaliste-révolutionnaire française.

    Contacté, Eliot Bertin a accepté dans un premier temps de répondre à nos questions « d’ordre conceptuel et théorique », n’étant pas intéressé par « les questions concernant le folklore faf, [qui servent] avant tout à satisfaire le lectorat bobo de StreetPress fasciné par le sujet des violences politiques ». Il n’a ensuite répondu qu’à l’une des dix-sept questions que nous lui avons soumises.

    (1) Le prénom a été modifié.

    (2) L’intéressé a contacté StreetPress le 26/09/23, il dément formellement ces faits.

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