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    23/03/2023

    « La musique est une pancarte efficace ! »

    Les chanteuses de manifs

    Par Elisa Verbeke , Pauline Gauer

    Alternatiba, CGT, FO ou encore ATTAC : depuis le début des mobilisations contre la réforme des retraites, les animatrices de cortèges utilisent les paroles de chansons détournées pour faire passer leur message.

    « Moi je suis Assurancetourix, le barde dans Astérix et Obélix », crie presque Laurent, 52 ans, en souriant. « Celui qu’on attache à un arbre car il n’arrête pas de chanter. » Dans la cohue des manifestations contre la réforme des retraites, il ne déroge jamais à son poste : il chante à tue-tête des tubes des années 80 qu’il a lui-même détourné en chants politiques, guitare en main. Le syndiqué Force Ouvrière a carrément scotché ses feuilles de paroles sur le camion de sa section, derrière lequel il mène les foules.

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    Laurent, 52 ans, syndiqué Force Ouvrière, plaisante : « Moi je suis Assurancetourix, le barde dans Astérix et Obélix, celui qu’on attache à un arbre car il n’arrête pas de chanter. » / Crédits : Pauline Gauer


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    Laurent a scotché ses feuilles de paroles sur le camion de sa section, derrière lequel il mène les foules. / Crédits : Pauline Gauer

    Quelques cortèges plus loin, derrière le camion CGT 77, c’est Aude qui tient le même rôle. Ou plutôt « Jena Hallyday », comme l’appellent ses camarades dernièrement. La quarantenaire aux cheveux décolorés a été rattrapée par son obsession pour Johnny. « Il suffira d’une étinceeeelle. D’une loi d’une braise ! », s’époumone-t-elle :

    « Il suffira d’une étincelle, d’un quarante-neuf trois ! Macron démission ! Macron démission ! »

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    Quelques cortèges plus loin, derrière le camion CGT 77, c’est Aude qui tient le micro. Ou plutôt « Jena Hallyday », comme l'appellent ses camarades dernièrement. / Crédits : Pauline Gauer

    Aude Canale, Laurent, mais aussi Agathe Le Berder, Marie Cohuet, Mathilde Panhaleux ou Youlie Yamamoto sont chanteuses et chanteur en manif. À chaque mouvement social, ils empoignent le micro pour ambiancer les foules. « Quand on se met à chanter, on a un sentiment de puissance collective », assure Marie Cohuet, qui milite pour le mouvement social et écolo Alternatiba. « La musique est une pancarte efficace ! », poursuit Youlie Yamamoto, la porte-parole du collectif féministe des Rosies :

    « En utilisant un moyen qui semble inoffensif, on fait passer des messages politiques très forts ».

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    « La musique est une pancarte efficace ! », explique Youlie Yamamoto, la porte-parole du collectif féministe des Rosies. / Crédits : Pauline Gauer

    Qui chante ?

    Les emblématiques notes de piano d’I will survive de Gloria Gaynor fendent l’air. L’utilitaire CGT Île-de-France, surmonté d’un ballon rouge et jaune, est bien visible dans la foule opposée à la réforme des retraites. C’est pourtant la voix d’Agathe Le Berder qui attire l’attention. « Jusqu’au tombeau ! Pour les prolos ! 64 ans non ! », entonne-t-elle avant le pré-refrain, qui demande plus de voix : « La retraite il la faut avant… Vivre en bonne santé, avec eux c’est pas gagné ! Les riches okay… mais les précaires eux vont creveeer ! » Dans la vie, la brune est inspectrice du travail. Look discret, petites lunettes, impossible de l’imaginer leadeuse des foules en colère sans son micro, son gilet rouge et son public. « Le plus galvanisant ce n’est pas de chanter mais d’entendre les gens les chanter » affirme-t-elle. Aya Nakamura, Philippe Katerine, Goldmann, le répertoire de la syndiquée du ministère du Travail est large. Elle est également porte-parole du collectif Nos retraites et membre de la direction de la CGTCadresTechs. Pour Agathe, pas question d’avoir le trac :

    « C’est énormément d’énergie : il faut tenir quatre heures et être à fond tout le temps. Heureusement, avec les retours qu’on a, on en récupère énormément. »

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    Agathe Le Berder chante devant le camion de la CGT Ile-de-France. / Crédits : Pauline Gauer


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    Devant Agathe, un petit auditoire reprend les paroles, livret à la main. Parmi eux, Clothilde, 82 ans et deux amies : « Nous on est de la CGT retraités », affirme-t-elle, « On montre qu’on est là ! » / Crédits : Pauline Gauer

    « Je me suis dit qu’avec l’humour, on pouvait faire passer pas mal d’idées ! » Aude – alias « Jena Hallyday » – est prof de français dans un lycée agricole. Syndiquée depuis sept ans à la CGT, elle prend ses fonctions d’animatrice de cortège très à c(h)œur. Il lui arrive même de ne pas dormir de la nuit avant une manif, prise d’une envie d’écrire de nouvelles paroles. Récemment, la cégétiste a sorti un clip sur Facebook pour lequel ils se sont démenés, elle et sa « bande de fous furieux motivés ». Dans cette vidéo, tous chantent dans le salon de la prof’, cuillère en bois à la main en guise de micro : « Macron démission ! Macron démission ! » Aude s’explique : « L’idée, c’est que les gens le reprennent ».

    Grossir les rangs

    De leur côté, les 80 militantes des Rosies à Paris n’hésitent pas non plus à multiplier les heures supp’ pour peaufiner leurs animations. Le collectif féministe est connu pour ses chorégraphies en combinaison bleu de travail et foulard rouge autour du cou. Un uniforme inspiré de Rosie la riveteuse, l’icône populaire américaine qui symbolise l’arrivée des femmes dans les usines d’armement durant la Seconde Guerre mondiale, quand les hommes étaient au combat. « On a plein de retours positifs avec notre playlist », assure Youlie Yamamoto, cofondatrice des Rosies et porte-parole d’ATTAC. Leur but : que leurs choré’ et leurs chansons puissent être reprises par toutes ! Et la bonne ambiance est communicative, promet-elle :

    « Lors de certaines manifs, on a commencé à 40 dans notre cortège. À la fin, on était des milliers de personnes ! Y compris des gens qui ne sont pas politisés ou syndiqués. »

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    Les Rosies sont connues pour leurs chorégraphies en bleu de travail et foulard rouge autour du cou. Un uniforme inspiré de Rosie la riveteuse, l’icône populaire américaine. / Crédits : Pauline Gauer


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    « On a plein de retours positifs avec notre playlist », assure Youlie Yamamoto, cofondatrice des Rosies et porte-parole d’ATTAC. / Crédits : Pauline Gauer

    Les Rosies ont même une ingénieure son, raconte Youlie. Ce qui leur permet de diffuser leurs créations en bonne qualité dans tous les mouvements sociaux de France. « On bénéficie de réseaux militants qui permettent de faire ce genre de choses », assure Marie d’Alternatiba. À 28 ans, la brune est porte-parole du mouvement écolo et social, en plus d’en être une chanteuse, d’écrire des slogans et d’animer le cortège. Avec ses camarades, ils tentent de moderniser cette pratique militante qui existe depuis bien longtemps explique Marie :

    « Il y a plein d’exemples de luttes où on employait la musique. Que ça soit dans les bals des usines en grève, jusqu’en Egypte récemment ou lors de la révolution les femmes dansaient et chantaient. »

    Et le succès est au rendez-vous : Alternatiba vient d’enregistrer son morceau, « Taxer les riches : retraites, climat, même combat ». Les commentaires positifs et nombreux relais de la vidéo montrent que le morceau était attendu. Au fil des manifestations, leur compte Twitter est passé de 10.000 à 34.000 abonnés et le mouvement a gagné une centaine d’adhérents.

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    À 28 ans, Marie Cohuet est porte-parole du mouvement écolo et social, en plus d’en être une chanteuse, d’écrire des slogans et d’animer le cortège. / Crédits : Pauline Gauer


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    Dernièrement, Mathilde Caillard, s’est faite remarquer sur les réseaux sociaux en dansant toute la manifestation, en continu, dans le cortège d’Alternatiba. / Crédits : Pauline Gauer

    Des rigolos ?

    En tête de la mobilisation du 16 mars dernier, quelques manifestants critiquent les animations :

    « Ça chante et c’est déguisé ! C’est pas le carnaval ici ! »

    Stéphane se revendique apartisan et reproche aux syndicats de ne pas assez montrer leur mécontentement. « On n’est pas là pour rigoler ! », affirme-t-il entre deux slogans anti-Macron, poing levé. Pourtant pour Laurent, l’Assurancetourix du syndicat Force Ouvrière, « tenir quatre heures en manif avec des slogans agressifs, même s’ils sont légitimes, ce n’est pas évident ».

    « Il faut montrer une image du syndicalisme qui n’est pas seulement négative », déclare quant à elle Mathilde Panhaleux, chanteuse à la CFDT depuis le début de la mobilisation, très attachée aux modes de mobilisation non-violents. « On peut occuper l’espace sans tout casser. » À 27 ans, la secrétaire confédérale CFDT partage le micro avec sa comparse Nancy. Bernard, qui écrit les chansons, vient s’ajouter à la bande. Au départ, ils avaient pensé à un costume de Casimir pour animer leur cortège. « Mais Casimir, il y en avait déjà un… On voulait porter nos revendications et on sait que les discours ça ne marche pas trop. » Alors le chant leur a paru être une bonne alternative. « Il faut mobiliser dans la durée, donner envie de venir, de partager et de s’amuser mais en prenant les choses au sérieux. » Marie d’Alternatiba abonde sur cette dernière idée :

    « C’est une bonne porte d’entrée : ça permet de faire venir des gens qui n’auraient pas osé nous rencontrer. »

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    « Il faut montrer une image du syndicalisme qui n’est pas seulement négative », déclare Mathilde Panhaleux, à droite sur la photo, chanteuse à la CFDT depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites. / Crédits : Pauline Gauer


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    Bernard a détourné les paroles des musiques. « Il faut mobiliser dans la durée, donner envie de venir, de partager et de s’amuser mais en prenant les choses au sérieux », poursuit Mathilde. / Crédits : Pauline Gauer

    Elle sait toutefois que ce mode d’action ne vient pas sans critique. Dernièrement, sa compère Mathilde Caillard, s’est fait remarquer sur les réseaux sociaux en dansant toute la manifestation, en continu, dans le cortège d’Alternatiba.

    Les millions de vues et les nouveaux adhérents ont été accompagnés d’un cyber-harcèlement accru. Un certain Dolo se permet par exemple de commenter sur Twitter :

    « La tronche de la manif aussi… Une meuf sous coke qui danse et des centaines de guignols qui suivent avec une banderole en chantant un truc qu’ils ne comprennent même pas. C’est comme ça qu’on va s’en sortir, continuons. »

    « De toute façon, dès qu’on est une femme militante et qu’on a un peu de visibilité, c’est compliqué », soupire Marie Cohuet. Alors elles se soutiennent comme elles le peuvent. « On est obligées de redoubler de créativité pour péter les barrières », complète Youlie des Rosies, avant de conclure :

    « En manif, il y a beaucoup de répression. On utilise la chanson pour amener de la joie, comme arme anti-morosité, parce que la réforme est violente. C’est dur ce qu’ils veulent nous mettre sur la pomme. »

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