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    15/05/2019

    Bienvenue dans la communauté des opérés des chirurgies de l’obésité

    Prêts à tout pour ne plus être gros

    Par Judith Bouchoucha , Tommy Dessine

    La chirurgie de l’obésité est l’une des plus pratiquées en France. Sur des groupes Facebook dédiés, opérés et candidats se soutiennent mais aussi s’échangent des conseils pour berner les médecins parfois réticents face à ces interventions.

    Pour perdre du poids, Sandrine a été opérée deux fois. Sa première chirurgie bariatrique date de janvier 2011. Elle a 30 ans et à l’époque, elle pèse 151 kg. « Je commençais à avoir du mal à me déplacer. J’avais des maux de dos aussi », confie-t-elle. Aujourd’hui, sa balance affiche 110 kg. Elle est ravie, même si elle perd ses cheveux. Par petites poignées chaque jour. Sûrement l’effet indésirable le plus marquant de ses passages sur le billard. « Rien de dramatique », assure-t-elle pourtant, rayonnante. Elle envisage même une troisième chirurgie. « On trouve que ce n’est jamais assez ».

    En 2016, 60.000 Français ont été opérés d’une chirurgie de l’obésité selon l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Cette chirurgie, qui consiste à modifier l’estomac, est l’une des plus pratiquées en France. Elle est également l’une des plus addictives. « Ils se roulent par terre pour avoir une opération. Ils sont prêts à mourir pour perdre 30 kg », explique Gabrielle Deydier, auteure du livre On ne naît pas grosse publié aux éditions Goutte d’or. Une frénésie qui bouscule la vie des patients. Les risques de problèmes post-op sont pourtant nombreux, comme les effets secondaires.

    Mais qu’importe, pour maigrir certains sont prêts à tous les sacrifices. C’est sur des groupes Facebook privés, exclusivement fréquentés par des opérés et des futurs opérés, qu’ils s’échangent des conseils et partagent leurs vécus. Ces derniers ressemblent aux forums des années 2000, où chacun raconte ses journées dans cette nouvelle vie. « En moins de cinq ans, on est passé de deux ou trois groupes, à des dizaines aujourd’hui », raconte, légèrement inquiète, Gabrielle Deydier. Le groupe le plus actif, Sleeve, Anneau, By pass c’est notre histoire, date de 2014 et rassemble près de 23.000 abonnés. Y sont publiés des recettes, des photos avant et après opération, mais aussi des combines pour duper les médecins et multiplier les opérations. Pour certains, tout est bon pour perdre toujours plus de poids, quitte à y perdre la santé. StreetPress a passé plusieurs semaines sur ces groupes et a récolté plus de soixante témoignages, notamment grâce à un questionnaire publié sur ces pages.

    À LIRE AUSSI : « L’été où je suis devenue obèse », un extrait du livre On ne naît pas grosse de Gabrielle Deydier.

    BB estomac

    « Au début, les gens allaient sur ces groupes pour trouver un parrain ou une marraine. Il y avait un côté bienveillant », raconte Gabrielle Deydier. Le tuteur accompagne l’opéré dans son parcours chirurgical, puis dans sa convalescence. Aurélia (1) se demande par exemple s’il est normal de ne rien pouvoir boire ou manger à un mois post-op. Sans surprise, l’alimentation est au centre de nombreuses discussions. Les photos de repas aux portions ridicules s’enchaînent. Certains s’inquiètent d’une perte de poids pas assez rapide… Sur ces groupes Facebook, les opérés cherchent du réconfort ou du soutien. Mais aussi des informations médicales. Selon Pina qui tient la page Chirurgie Bariatrique depuis 5 ans, « il y a un réel manque d’informations entre le chirurgien et le patient. Ce n’est pas juste une ablation mais bien un réel chamboulement du système digestif. On nous lâche dans la nature ». Elle passe plus de 4h par jour à modérer son groupe et répondre aux questions.

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    Joyeux anniversaire. / Crédits : Tommy

    Au fur et à mesure, Facebook se transforme en Doctissimo. Les discussions ne tournent plus qu’autour de l’obsession de la perte de poids. « Ils disent toujours la même chose sur ces groupes : “J’ai peur ou je suis contente.” “Combien de kilos avez-vous perdu ?” », explique Gabrielle Deydier :

    « On y retrouve tout ce qu’il y a de plus négatif sur les réseaux sociaux. »

    4 mai. Amelle (1) poste une photo avant/après opération. 330 likes et 33 commentaires. Tous la félicitent : « Waouh, tu es magnifique ! Tu peux être fière », « Tu es superbe comme ça ! Bravo », « Hâte de poster ma photo ». Les publications s’enchaînent et se ressemblent, à la vitesse, souvent, de deux posts par heure. « 2 moiniversaire pour mon bb estomac et 31 kilos en moins », publie Sylvia (1). Jennifer (1) plus bas : « L’anniversaire de bb estomac arrive à grands pas […] Enfin je m’aime, enfin j’ai confiance en moi. » Les opérés parlent de leur estomac à la troisième personne. Il porte généralement le nom de « bb estomac » ou de « baby estomac ».

    La famille Sleevanopass

    Dans ces groupes, trois mots reviennent en boucle : anneau, sleeve et bypass, les trois opérations validées par la Haute Autorité de Santé. Sur son groupe, Isabelle parle même de la « famille Sleevanopass ». Et comme certains chirurgiens proposeraient, selon plusieurs témoignages, aux patients de choisir l’opération souhaitée, un peu comme au marché, c’est sur Facebook qu’on cherche des recommandations. Nora (1), par exemple, le 14 avril : « Bonjour : anneau ou sleeve ou bypass ? Quelle est la meilleure méthode ? » Trente personnes lui répondent et tentent de la guider. L’anneau est vivement décrié. « Anneau non pour l’avoir eu », « surtout pas l’anneau », « oubliez l’anneau ! », clament-ils en coeur.

    La technique de l’anneau consiste à placer une bague en haut de l’estomac pour créer une sorte d’entonnoir. Mais 47% des opérés sont en échec sept ans après l’opération, raison pour laquelle elle est de moins en moins utilisée. Pour le chirurgien viscéral et digestif Nicola Corigliano : « Les résultats sont moins importants en terme de perte de poids. De plus, le confort n’est pas top. » Paola, 43 ans, opérée en 1998 puis en octobre 2018 a regretté son anneau. « Je l’ai gardé 17 ans. Je n’ai eu que des complications notamment des remontées acides et des malaises à répétition », raconte-t-elle.

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    Différentes chirurgies bariatriques mode d'emploi. / Crédits : Tommy

    La sleeve consiste à retirer les deux tiers de l’estomac. Elle représente 53 % des opérations de chirurgies bariatriques. Quant au bypass en Y, elle est l’opération la plus radicale même si elle est réversible. Elle représente un tiers des opérations. Elle est principalement utilisée sur les personnes ayant un Indice de Masse Corporel (IMC) de plus de 45 (plus de 130 kg pour 1m70). Un bypass est une dérivation de l’estomac et de l’intestin. Les aliments ne passent pas par l’estomac car cette chirurgie modifie l’absorption. Mais, elle entraîne des carences vitaminiques.

    Changez-moi ce corps que je ne saurais voir

    « Je savais que je voulais une sleeve et j’étais prête à tout pour l’obtenir », raconte Isabelle, qui tient le groupe Sleeve, Anneau, By pass c’est notre histoire. Sylvie Benkemoun, vice-présidente du Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids et psychologue clinicienne, analyse :

    « Il est tellement difficile de vivre gros qu’on pourrait tout accepter. »

    La chirurgie bariatrique est majoritairement utilisée par des femmes. « L’obésité est plus fréquente chez les femmes », tente le docteur Corigliano. Pourtant, d’après une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publiée en 2016, l’obésité concerne 15,8% d’hommes et 15,6% de femmes en France. Pour Sylvie Benkemoun, c’est simplement du « sexisme ordinaire car on demande beaucoup plus aux femmes. Et l’environnement grossophobe est plus important en France que dans d’autres pays d’Europe. »

    Lorsqu’un médecin refuse de pratiquer une opération, c’est souvent vécu comme un drame par le patient. « Mon médecin ne veut pas que je me fasse opérer. Pourtant, je pèse 100 kg pour 1m61. J’en ai marre de ces refus. Comment avez-vous fait ? », s’alarme Fanny (1). Tous lui conseillent d’aller directement voir un chirurgien privé, sans passer par la case médecin généraliste. Sarah (1), vindicative, insiste même : « Ce n’est pas à ton médecin de décider pour toi. »

    Pour que la sécurité sociale accepte l’opération, le patient doit avoir un IMC supérieur ou égal à 35 avec des comorbidités (apnée du sommeil, diabète de type 2, hypertension artérielle…) ou un IMC supérieur à 40. Il doit aussi avoir suivi un parcours médical de minimum six mois. Pendant ce temps, il fait différents tests et rencontre de nombreux médecins, notamment le chirurgien, l’endocrinologue, le diététicien-nutritionniste, le psy et le gastroentérologue. Si l’un d’eux ne signe pas le protocole, ils peuvent décider d’aller en voir un autre. Maxence (1) le prouve en postant : « Je suis allé voir un autre chirurgien. Je me fais opérer dans les prochaines semaines. » Un parcours long et contraignant. « Il faut se battre chaque jour. »

    « Il m’a démoli la vie »

    Maryline, 49 ans, voulait absolument sa sleeve. Alors elle a dupé les médecins pour obtenir son opération. « Ils m’ont opérée parce qu’inconsciemment je leur ai caché plein de choses. » Elle ne mentionne pas la dépression qu’elle subit et les problèmes de couple avec son mari. Autant de contre-indications à se faire opérer. « J’ai aussi menti sur mon alimentation. Je lui ai fait entendre ce qu’il voulait. » Mélanie (1) affirme : « Il ne faut pas être trop honnête. »

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    Bon ap' ! / Crédits : Tommy

    « Je croyais être prête mais je ne l’étais pas. J’ai berné mon monde sans le vouloir », regrette aujourd’hui Maryline qui, comme un paquet d’opérés, a souffert de complications post-opératoires. Elle souffre aujourd’hui d’anorexie mentale et de dépression. Ce qui a entraîné son hospitalisation en janvier 2019 pour « dénutrition sévère et déshydratation ». 38% des opérés se trouvent en situation d’échec cinq ans après une opération de chirurgie bariatrique. La plupart d’entre eux ont repris l’intégralité de leur poids. Des complications dues notamment au manque de suivi post-op, ou aux contre-indications qui n’ont pas été respectées. Les effets secondaires sont nombreux et lourds : perte de cheveux, carences en vitamines, nausées, vomissements, diarrhées, reflux gastro-oesophagien, fistule, dumping (troubles importants et douloureux de la digestion qui surviennent juste après le repas lorsque les aliments sont ingérés trop rapidement)…

    À cause des effets secondaires, Fee, 40 ans, a demandé à son chirurgien de transformer sa sleeve, réalisée en 2013, en bypass pour ne plus prendre d’oméprazole. Un médicament qui pourrait être à l’origine de sa « grosse dépression ». Près de six ans après sa deuxième opération, un bypass en Y, Isabelle, 35 ans, souffre quant à elle encore terriblement. En novembre 2011, son médecin traitant la convainc de se faire opérer d’une sleeve. « Je n’étais pas pour. Je pensais que c’était une solution de facilité. » À l’époque, elle pèse 180 kg et souffre d’asthme. « Je n’avais pas de problèmes de santé majeurs lié au surpoids. » Elle se fait opérer en janvier 2012. Quelques jours après sa sortie, elle a déjà perdu 21 kg. Deux mois plus tard, elle est de nouveau hospitalisée. « J’étais en carence [vitaminique] à tous les niveaux. » Les agrafes de la sleeve « ont pété ». Quelques mois plus tard, le gastroentérologue lui annonce que « deux nerfs ont été sectionnés pendant l’opération. » Il faut réintervenir. Les complications s’enchaînent de nouveau : gigantesque abcès, dépression, maladie de Crohn, perte de cheveux, ablation de la vésicule biliaire, perte de ses dents… « J’ai encore des problèmes aujourd’hui. Ça m’a démoli la vie et la santé. »

    Elle est loin d’être la seule à subir ces galères à répétition. Elisa, 42 ans, a été opérée d’une sleeve en février 2019. Dix jours après son opération, elle découvre qu’elle a une fistule. « Il y avait une fuite de 2 mm entre deux agrafes. Du liquide s’est échappé et dirigé vers les poumons. » Lorsqu’ils retirent le drain quelques jours plus tard, rebelote. « Je regrette l’opération. Les douleurs n’en valent pas la peine. » Elle regrette aussi qu’il n’y ait « que du positif » sur les groupes Facebook. « Je veux crier à chacun : ne le faites pas ! »

    À LIRE AUSSI : « Depuis son opération contre l’obésité, mon fils est paralysé », un témoignage d’Ahmed Otmane.

    Quand le miel devient aigre

    Pourtant, sur les groupes Facebook, les posts qui relatent ces complications sont rares, voire inexistants. « Quand tout le poids est perdu, c’est là que tout commence. Mais à ce moment-là, les opérés ont déjà quitté ces groupes », explique Sylvie Benkemoun. Sur Facebook, les membres de la communauté sont en « lune de miel » et savourent les pertes de poids prometteuses.

    Il existe tout de même quelques groupes consacrés aux suites compliquées : Reprise de poids après bypass, sleeve… nous sommes là pour en parler ou échec sleeve ou bypass. D’après Elodie Sentenac, diététicienne, nutritionniste, la lune de miel dure entre un et deux ans. Elle correspond à la période où la perte de poids est fulgurante. Il peut, cependant, il y avoir quelques paliers. C’est le moment où le poids de l’opéré stagne. C’est souvent très mal vécu comme en témoigne le post d’Irène (1) : « 2 mois de palier, je démoralise ». Plus bas, Anne (1) abonde : « 5 mois de palier, cela me tracasse. »

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    En lune de miel. / Crédits : Tommy

    Les patients peuvent développer des troubles de conduites alimentaires (TCA) après l’opération. Et ceux qui en avaient avant n’en sont pas débarrassés non plus. « Il y a aussi des problèmes d’addictions qui peuvent naître comme l’alcoolisme ou le tabagisme », complète Elodie Sentenac. « Il est faux de penser que perdre la moitié de son poids, c’est guérir. On n’est jamais guéri de l’obésité », assure Sylvie Benkemoun, qui précise que l’obésité est une « maladie chronique ». Selon le chirurgien Corigliano :

    « Le traitement doit être à vie. »

    La psychologue clinicienne ajoute que les troubles de l’humeur et la dépression apparaissent eux aussi après la lune de miel. « Il y a un déplacement des addictions. »

    « C’est que du bonheur »

    Heureusement, certains opérés échappent aux complications. Ils sont les plus actifs sur les groupes Facebook. On ne compte plus le nombre de fois où la phrase « c’est que du bonheur » revient. Philippe assure que ces opérations ont changé sa vie : « Je peux faire beaucoup plus de choses avec ma fille. Pour ma vie de couple aussi, ça a beaucoup changé. Surtout le côté intime. C’est plus facile en terme de positions. » Imène, 26 ans, qui s’est faite poser un anneau à ses 18 ans puis a été opérée pour une sleeve six ans plus tard, apprécie de pouvoir s’habiller comme elle le souhaite. « Je ne me sens plus différente, je me sens femme. »

    Son couple a pourtant fait les frais de cette deuxième opération. Après cinq ans, elle et son compagnon se sont séparés. Sur les groupes, beaucoup viennent chercher des solutions pour réparer leurs relations amoureuses. « Mon couple va mal… On ne se comprend plus », poste Marie (1). « Mon couple part en fumée », regrette Maëlle (1). D’après Elodie Sentenac « un couple sur deux divorce ou se sépare après une opération [de chirurgie bariatrique] ». Mais les commentaires sous ces publications vont presque tous dans le même sens : ce n’est pas grave, tu trouveras mieux ailleurs. D’ailleurs, sur le groupe Sleeve, Anneau, By pass, c’est notre histoire, il existe même un fichier de célibataires.

    (1) Le prénom a été modifié.

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